La sélection génétique est au cœur de l’amélioration des performances de nos espèces d’élevage. Depuis plusieurs décennies, les sélectionneurs essayent d’accroître la productivité, la résistance aux maladies ou encore l’adaptation environnementale grâce à la sélection des meilleurs individus. Toutefois, une conséquence souvent inévitable de la sélection est l’augmentation de la consanguinité.
Un taux de consanguinité élevé peut conduire à un phénomène dit de dépression de consanguinité, impactant négativement les caractères d’intérêts comme la croissance, la fertilité ou encore l’efficacité alimentaire.
Afin de quantifier et de gérer ce phénomène, deux approches principales existent : celle reposant sur les informations de parenté (le pedigree), et celles reposant sur l’information génétique grâce à l’utilisation d’outils de génotypage ou de séquençage de l’ADN.
La consanguinité basée sur le pedigree : simple, mais imparfaite
La consanguinité pedigree se calcule à partir des informations généalogiques d’un animal. Elle représente la probabilité que deux allèles à un gène donné soient identiques car provenant d’un ancêtre commun. En fonction des informations généalogiques dont nous disposons sur nos lignées, il est possible de remonter sur plusieurs dizaines de générations de sélection pour estimer les liens entre les individus de nos lignées.
Cette mesure de la consanguinité présente ainsi plusieurs avantages :
- Une utilisation des données historiques : les informations généalogiques de nos lignées étant bien documentées depuis un grand nombre de générations, la consanguinité pedigree peut être suivie sur de très longues périodes.
- Des calculs simples : les formules mathématiques sont relativement directes et permettent d’estimer rapidement la consanguinité pedigree à partir des données généalogiques.
- Une prise en compte rapide en sélection : Lorsque des animaux d’intérêt trop consanguins sont identifiés, ceux-ci peuvent être croisés avec d’autres individus moins consanguins pour limiter l’impact de la consanguinité sur la sélection.
En revanche, la mesure de consanguinité pedigree présente également un certain nombre d’inconvénients :
- Une précision limitée par la profondeur du pedigree : la qualité de l’estimation dépend fortement de la fiabilité et du nombre de générations pour lesquelles des informations généalogiques sont disponibles. Des erreurs ou des lacunes dans le pedigree peuvent biaiser voire fausser les résultats. Par exemple, lorsque l’on remonte aux plus anciens ancêtres d’une lignée donnée pour lesquels l’information généalogique n’est plus disponible, le taux de consanguinité de ces individus dits « fondateurs » sera de 0.
- Des hypothèses simplificatrices : les approches traditionnelles supposent souvent une contribution égale de tous les parents, alors qu’en réalité, la transmission génétique peut être plus complexe.
- L’absence de détection de certaines variations génétiques : le pedigree ne capte pas les variations dues à des mutations récentes ou liées aux événements de recombinaisons chromosomiques, ce qui peut limiter l’évaluation de la diversité génétique réelle.

La consanguinité basée sur le génome : une vision plus fine du problème
Grâce à l’utilisation d’outils de génotypage ou de séquençage de l’ADN, il est possible d’identifier des marqueurs moléculaires tels que des SNP (Single Nucleotide Polymorphism). Ces SNP correspondent à des variations d’une base nucléotidique de l’ADN, très fréquentes et très régulières le long de l’ADN. Disponible sur un grand nombre de marqueurs (plusieurs dizaines de milliers), l’information moléculaire peut ensuite être utilisée pour estimer une consanguinité génomique.
Différents indicateurs de consanguinité génomique existent et permettent d’estimer le niveau de consanguinité sur l’ensemble du génome mais également en fonction de certaines régions du génome, en fonction des chromosomes ou même en fonction de zones sur des chromosomes. Il est par exemple possible d’identifier des régions du génome sans aucune variation génétique entre individus. On parle de région d’homozygotie prolongée (ou encore de ROH pour « Runs of Homozygosity »). En fonction de la taille de ces régions, il est possible d’identifier des régions conservées, sans variation génétique, plus ou moins anciennes.
Les mesures de consanguinité génomique présentent des avantages :
- Une plus forte précision de la consanguinité : les données génomiques permettent d’accéder à l’information moléculaire sur un grand nombre de marqueurs génétiques, offrant ainsi une image plus détaillée de la consanguinité réelle.
- Une meilleure différenciation des individus apparentés : il devient possible de différencier deux pleines frères ou deux pleines sœurs en fonction des allèles hérités de leurs parents, alors qu’avec le pedigree ces animaux ont le même niveau de consanguinité. Ceci permet ensuite de sélectionner les individus les plus intéressants au sein d’une même fratrie.
- Une détection de consanguinité « cachée » : les indicateurs de consanguinité génomique permettent d’identifier des niveaux de consanguinité non apparents dans les pedigrees, par exemple pour les animaux fondateurs de nos lignées, ou encore en cas d’erreurs ou d’incomplétude des données historiques.
- Une amélioration de la compréhension des impacts génétiques : en identifiant précisément les régions du génome affectées, il devient possible d’étudier l’impact de la consanguinité sur des caractères d’intérêt et d’optimiser la gestion des populations.
Mais tout comme la mesure de consanguinité pedigree, ces mesures présentent également des inconvénients :
- Un coût supérieur : la réalisation d’analyses génomiques (notamment par séquençage complet) reste coûteuse et nécessite des outils informatiques et des compétences spécifiques en bioinformatique.
- Une multitude d’indicateurs de consanguinité génomique : différents indicateurs existent pour estimer les niveaux de consanguinité génomique, sans véritable consensus scientifique sur l’indicateur le plus intéressant à utiliser. Pour une même population, ces indicateurs sont plus ou moins corrélés entre eux.
- Une interprétation complexe : En fonction des indicateurs utilisés, l’interprétation des résultats peut nécessiter une compréhension approfondie des dynamiques génétiques.
- Une information moléculaire partielle ou biaisée : Les puces de génotypages utilisées en routine ne permettent pas de couvrir toutes les variations moléculaires du génome de nos canards. Bien qu’optimisées pour prendre en compte toutes les régions du génome, il est possible de ne pas détecter certaines régions du génome sans aucune variation.

Consanguinité pedigree et génomique : deux approches complémentaires
Des études comparatives montrent que les coefficients de consanguinité calculés à partir des pedigrees et ceux dérivés des données génomiques sont souvent corrélés, mais peuvent diverger en fonction de la profondeur du pedigree et de la qualité des données moléculaires. Dans certains cas, il est par exemple même possible d’observer une corrélation négative entre la consanguinité pedigree et certains indicateurs de consanguinité génomique. Ceci est très souvent lié au fait que, même si les données pedigree remontent sur un grand nombre de générations, les animaux fondateurs ont également un certain historique pouvant lui-même être très ancien.
Toutefois, pour des lignées de sélection pour lesquelles les données de pedigree sont anciennes, les différents indicateurs de consanguinité, pedigree et génomique, restent corrélés positivement. Ce sont donc deux approches qui se complètent.
Les conséquences de la consanguinité sur la sélection
La consanguinité, qu’elle soit pedigree ou génomique, a un impact direct sur l’efficacité et la durabilité des programmes de sélection. L’accumulation d’homozygotie dans le génome, conséquence d’un croisement entre individus apparentés, peut entraîner une dépression de consanguinité qui se traduit par une diminution des performances sur des caractères essentiels comme la fertilité, la croissance ou encore la résistance aux maladies. Ces effets négatifs sont particulièrement critiques en sélection dans le cas de lignées fortement sélectionnées, où la diversité génétique peut rapidement se réduire.
Si des individus deviennent génétiquement trop similaires, il en résulte une réduction de la variabilité génétique. Sur le long terme, cela limite les possibilités de choisir des animaux reproducteurs ayant des combinaisons génétiques nouvelles ou favorables. Or cette variabilité génétique est l’un des moteurs du progrès génétique. Dans le cas d’une trop forte réduction de la variabilité, il en résulterait une réduction du progrès génétique. Il est donc impératif pour le sélectionneur de faire attention aux niveaux de consanguinité des individus sélectionnés et aux accouplements réalisés entre individu sélectionnés.
Les mesures de la consanguinité jouent donc un rôle crucial dans la gestion des accouplements. Lorsque l’information moléculaire n’est pas disponible, la prise en compte de la consanguinité pedigree permet d’éviter les croisements entre individus trop apparentés. Mais avec les outils génomiques, il devient possible d’aller plus loin : on peut identifier précisément les régions du génome qui posent des problèmes et intégrer ces informations dans les algorithmes de sélection, pour minimiser la consanguinité génomique tout en maximisant le progrès génétique.

CONCLUSION
En résumé, la prise en compte fine de la consanguinité – non seulement comme une valeur à surveiller, mais aussi comme un critère intégré dans la sélection – devient essentielle pour concilier amélioration génétique et préservation de la diversité dans nos lignées de sélection. Ensemble les outils de pedigree et génomique permettent de mieux maîtriser les croisements, d’éviter une argumentation excessive de consanguinité et de préserver la diversité génétique, qui est un gage de robustesse et de résilience face aux défis futurs de l’élevage.